DAVID STERN, LA MORT D’UN VISIONNAIRE

Nous sommes le 26 juin 2002 dans l’effervescence du mythique Madison Square Garden, à New York. La NBA organise sa traditionnelle ‘’draft’’, une sorte de marché aux jeunes joueurs, où chacune des trente équipes de la Ligue sélectionne, par ordre de priorité, deux nouveaux individus qui viendront renforcer ses rangs la saison prochaine. Si les noms des futures vedettes sont déjà connus à l’avance, leur ordre de classement est alors inconnu du grand public, et le ‘’first-pick’’ (joueur sélectionné en tout premier), est donc l’objet de tous types de fabulations. Aux alentours de 19h30, David Stern, commissaire de la NBA s’élance: “ With the first pick, the Houston Rockets selected…Yao Ming’’ (‘’Avec le premier choix, les Houston Rockets ont sélectionné…Yao Ming’’). Beaucoup ne le réalisent pas encore, mais cet événement vient de marquer l’apogée de la politique de David Stern à la tête de la Ligue la plus prolifique du monde. Yao Ming est certes un basketteur hors pair, doté d’une hauteur de 2,29m et biberonné par le gouvernement chinois pour en faire un sportif capable de briller outre-Pacifique, mais l’histoire retiendra le choix fait par la Ligue de le placer en tête. Ravissant la vedette à tous les jeunes issus de la prestigieuse formation américaine, il réussit surtout à faire briller l’étendard de sa patrie à une époque de tensions vives entre les deux plus grandes puissances mondiales. Un signe d’ouverture fort avec un aspect géopolitique sous-jacent, deux notions qui caractériseront comme nulles autres les 30 ans de mandat de David Stern à la tête de la NBA.

UN CADEAU EMPOISONNÉ

Lorsqu’il reprend le flambeau de la présidence de la Ligue le 1er février 1984, des mains de Larry O’Brien, David Stern arrive dans un milieu sinistré. Nombre de joueurs sont minés par des problèmes de drogue, de mœurs, et sont de véritables parodies de sportifs, les salles ne se remplissent plus, même lors des matchs les plus prestigieux, et les audiences télévisuelles sont en rade, et les chaînes déprogramment en masse les matchs de basketball en prime time. Summum du ridicule, les finales NBA, qui sont aujourd’hui un événement planétaire regardé par 500 millions de téléspectateurs, sont alors diffusées en différé, et en pleine nuit, par les ayants droits américains. Parler de popularité internationale semble donc à des années lumières. A une époque où la culture américaine veut affirmer sa supériorité, voir une telle image est au mieux fâcheux, et au pire totalement catastrophique. Mais, pas le dernier pour trouver des solutions au pied du mur, David Stern, entrepreneur new-yorkais entré dans le giron de la NBA 6 ans plus tôt en tant que conseiller, va entreprendre une grande restructuration qui modifiera à jamais l’image du basket-ball dans le monde.

De sport américain, la basket passe donc à la postérité internationale grâce à la persuasion et la volonté d’un homme d’en faire un phénomène mondial. Sa technique ? Restructurer l’image des joueurs et des équipes, pour mieux les vendre et en faire des idoles, quitte à instrumentaliser certaines rivalités pour faire de la NBA une véritable histoire dont chaque nuit est un chapitre. Et le pire, c’est que le destin s’en mêle. Pas malchanceux, David Stern préside sa première draft en 1984, où sera sélectionné, en troisième position : Michael Jordan. Véritable génie aux mains d’or, le joueur des Bulls va rapidement devenir une idole planétaire à force de gestes incroyables et de coups de génies. Son numéro (23), son image, son maillot deviennent alors des images vendues partout dans le monde, notamment grâce à l’appui de son sponsor Nike, et le tour était joué : la NBA obtient rapidement sa première idole qui s’exporte véritablement hors du continent américain. Aujourd’hui encore, vous croiserez sans problème des individus arborant le numéro 23 dans n’importe quel pays du monde. Quand la légende est lancée, rien ne semble pouvoir l’arrêter.

L’effet ‘’Dream Team’

Mais il ne faut pas extrapoler sur les effets immédiats de la méthode Stern. La popularité du basket à la sauce US ne s’est pas faite en un jour et les coups auront été nombreux avant d’obtenir un résultat probant. Un problème demeurait en effet : comment fidéliser un public qui n’a jamais vu du basket-ball qu’à la télévision ? Autrement dit, de quelle manière amener la NBA dans les stades du monde entier. Si l’exportation de matchs entre équipes américaines attendra les années 2010 et sera surtout l’œuvre de son successeur, David Stern a une solution plus simple, mais à laquelle personne n’avait jamais pensé jusqu’à présent : les Jeux Olympiques. Ou comment faire de l’événement le plus regardé du monde (3,5 Md de téléspectateurs à l’époque), un espace publicitaire grandeur nature pour le sport américain. Il faut savoir que jusqu’à 1992 et les Jeux Olympiques de Barcelone, les Etats-Unis n’envoyaient qu’une équipe composée de joueurs universitaires disputer la compétition. Désormais ce seront toutes les plus grandes stars de la Ligue : la Dream Team était née. Composée de Michael Jordan, Magic Johnson et Larry Bird entre autres, la Team USA déchaîne les passions à Barcelone, par son jeu léché et spectaculaire, et provoque un engouement sans précédent en Espagne, qui n’est jamais retombé depuis.

Deux Jeux Olympiques qui accélèrent d’autant plus ce processus d’ouverture. Les chaînes européennes s’arrachent alors les droits télévisuels, convaincus du potentiel à long terme de ce sport, à des prix relativement abordables étant donné que la plupart des rencontres se déroulent de nuit, ce qui facilitera d’autant plus son expansion internationale. En France, Canal + est la seule chaîne à croire à ce potentiel, et verra son investissement vite rentabilisé, en créant une communauté basket d’une importance conséquente, toujours très importante et active aujourd’hui.

UN RENFORCEMENT DE L’ACCENT ÉTRANGER AU SEIN DE LA LIGUE

Dernière étage de la fusée lancée par David Stern, internationaliser la Ligue de l’intérieur. Encore très américano-américaine au début des années 90, la NBA va progressivement se doter de joueurs étrangers, finement distillés au cours de chacune des drafts. Mais l’événement que beaucoup retiendront restera cette année 1995, qui consacrera l’entrée dans la Ligue de deux nouvelles franchises : les Toronto Raptors et les Vancouver Grizzlies, deux équipes canadiennes, qui finiront de désenclaver la NBA par rapport au reste du monde. Si les Grizzlies déménageront à Memphis quelques années plus tard pour des raisons essentiellement financières, les Raptors réussiront eux parfaitement leur intégration, jusqu’à devenir champions NBA en 2019 : tout un symbole.

Avec Yao Ming, David Stern marque aussi le pas en montrant que les stars du basket-ball de demain étaient bel et bien étrangères. Malheureusement, Ming ne réussira jamais la carrière qui lui était promise, en raison notamment de son poids qui lui coûtera de nombreuses blessures et quelques saisons d’absence, ainsi qu’une retraite anticipée. Mais les événements récents nous montrent qu’une génération internationale est bel et bien en train de prendre le pouvoir. Si Adam Silver a pris le poste de David Stern en 2014, c’est bien les effets de la politique de ce dernier qui se font encore ressentir aujourd’hui. En 2019, la cérémonie des récompenses individuelles de la NBA a consacré Giannis Antetokoumpo, joueur grec, comme meilleur joueur de la saison. Le trophée de meilleur jeune atterrissait lui dans les mains de Luka Doncic, solvène, le titre de meilleur défenseur était remis au français Rudy Gobert. La preuve par l’exemple que le basket-ball n’a jamais eu un aspect autant international qu’aujourd’hui. Plus récemment encore, la mise en vente des billets pour le premier match de saison régulière de NBA organisé en France a suscité un engouement sans précédent : une file d’attente en ligne de 120 000 personnes pour se disputer 20 000 places, dont les moins chères, vendues 65 euros, sont parties en quelques secondes. Comment expliquer un tel déchaînement des passions autour d’un sport né outre-Atlantique ? David Stern vous donnera sûrement la réponse.


Auteur : Hadrien

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