LPSTORY – LA PERFECTION A UN NOM

Juillet 1976. La Guerre Froide sème la panique. La guerre entre les deux plus grosses puissances du monde, Etats-Unis et Russie, met sous tension la planète entière, tout juste sortie un quart de siècle auparavant de la plus grande guerre, la plus dévastatrice, la Seconde Guerre Mondiale. A Montréal, les Jeux Olympiques d’Été prennent tout de même place, malgré les tensions liées au contexte : la frontière américaine n’est qu’à cent kilomètres de la ville après tout.

L’URSS a le monopole sur les instances de la gymnastique. Alors quand l’empire communiste peut faire parler la poudre face aux Américains, ils ne vont pas s’en priver. Le lobbying russe auprès du CIO afin d’intégrer des figures acrobatiques longtemps réalisées dans les cirques moscovites et une refonte du système des points aura fonctionné. Si en 1968 avec Caslavska, la gymnastique était alors dominée par des hommes et femmes d’âge déjà bien avancé, en 1976, c’est toute une (r)évolution : dorénavant, c’est bien les jeunes hommes et jeunes femmes d’à peine la vingtaine qui pourront rêver d’or, d’argent et de bronze aux Jeux Olympiques. Car, dorénavant, l’âge n’a plus d’importance, et alors qu’avec Caslavska, l’assurance était de mise, la gymnastique a évolué jusqu’à atteindre un niveau de prises de risque très élevé, surtout au niveau des appareils.

La « Lolita olympique », comme la décrivait Antoine Blondin, célèbre journaliste de L’Equipe, avait tout compris. Son rôle, peut-être moins. Car ces Jeux Olympiques étaient une volonté de l’URSS, soit du communiste, de glaner le plus de médailles possibles, et de démontrer leur supériorité sur le capitalisme, et donc les Etats-Unis. Ces derniers, en gymnastique, n’ont pas encore les Simone Biles de nos jours. Ils n’ont pas leur armada américaine multi-étoilée. Ils n’ont pas encore la force de l’URSS, et de ses alliés, à l’image de la Roumanie. Les dizaines de millions de téléspectateurs, et les milliers de personnes qui assistent à ce concours de gymnastique ne s’attendaient sûrement pas à voir briller une jeune roumaine, d’à peine quatorze ans et huit mois, sur le tatamis de gymnastique. Et pourtant, ce qu’il s’est passé en cette fin juillet 1976 n’est pas seulement entré dans la grande Histoire du Sport. Cet événement s’est bien ancré dans la Guerre Froide, et dans l’Histoire en général. Car tout ceci aura dépassé le cadre du sport. Et c’est peut-être pour cela que c’est encore plus marquant.

Qui l’eût-cru, qu’un jour, aux Jeux Olympiques, une jeune femme allait réussir telle prouesse ? Peut-être pas l’horloger qui gérait le tableau d’affichage. Jamais une gymnaste n’avait obtenu la note parfaite de 10. Alors, le « Swiss Timing » n’était point paramétré pour accueillir une telle note si bien qu’à la fin de sa prestation, Nadia Comaneci se pointera près d’un tableau où il est simplement écrit « 1.00 ». Incroyable ! Ce qu’elle a réalisé ici aura été un mélange de finesse, d’étoile descendue sur terre. Un soleil illuminait la scène, ses figures ne pouvaient être plus parfaites. Si elle était déjà habituée à la note de 10 (elle en avait déjà récolté neuf dans les mois précédents les Jeux Olympiques), l’épreuve reine n’avait jamais accueilli une aussi belle et grande note. La Roumaine avait accueilli la lumière un an auparavant. A seulement treize ans, elle avait glané la breloque en or aux Championnats d’Europe, où l’Allemagne de l’Ouest avait pris ses aises. Le premier jour de ces Jeux Olympiques de Montréal, et de ce concours de gymnastique, faisait déjà goûter aux spectateurs une douce folie, une folie sportive d’abord, une folie humaine ensuite. Aux barres asymétriques, Nadia Comaneci réalisera de superbes figures, survolant le ciel canadien comme un oiseau sifflotant par-delà les campagnes. Sa grâce impressionne les spectateurs, qui assistent avec des yeux écarquillés aux prouesses de la jeune femme. Elle décroche le premier 10 de l’Histoire des Jeux Olympiques, et laisse seulement quelques miettes à ses adversaires. Derrière, que ce soit à la poutre ou au sol, Comaneci continue ses Jeux de gloire. Elle éclabousse de par sa grâce et sa finesse, et fait tomber des 10 à toutes épreuves. A sept reprises, elle obtient la note maximale, à cinq reprises (sur six possibles), elle est montée sur le podium de ces Jeux de Montréal : elle remporte l’or aux barres asymétriques, et à la poutre, avec la note maximale de 20/20, puis le concours général individuel féminin, et enchaînera par une médaille d’argent au concours par équipes, et une médaille de bronze au sol.

Pourtant, ce qu’on peut retenir, voire même ce que l’on doit retenir de Nadia Comaneci, c’est aussi son accueil triomphant en Roumanie, où les télévisions se mettent à diffuser en couleur pour l’occasion, ce sourire enfantin, qui démontre le devoir accompli, et ce discours de remerciements : « Cher camarade Ceausescu, je suis très émue car aucune médaille, ni aucun titre au monde ne vaut la distinction que vous accorde votre propre pays de la main du fils le plus aimé de Roumanie, père aimant de la jeunesse de notre pays, vous, le camarade Nicolae Ceausescu. » Ce dernier se voue un culte de la personnalité impressionnant, au niveau des plus grands. Nicolae Ceausescu aura cultivé son être à travers les livres d’Histoire et surtout à travers ses Jeux Olympiques. Peut-être, les cinq médailles d’or de Nadia Comaneci sont entrées dans l’Histoire. Mais c’est surtout son corps, celui d’une fillette privée d’adolescence, et ensuite privée de maternité, qui sera retenu. Ce corps que tout le monde désire, ce corps à la fois frêle et vigoureux, 150cm, 39kg. Ce corps qui n’aura jamais pu être libre. Nadia l’est. Son corps ne l’est pas. Qu’importe où elle ira, qu’importe si c’est à l’ambassade des États-Unis à Vienne ou dans un autre lieu, son corps sera toujours à la merci des critiques, avec ses tenues de mauvais goût ou son visage devenu bouffi. Car Nadia Comaneci aura été l’otage d’une folie. La folie humaine. Pour le meilleur, et ces médailles d’Or, mais surtout pour le pire. La perfection a un nom : Nadia Comaneci. Mais la perfection n’a point de liberté.


Auteur : João / Photos : Getty Images

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