LPSTORY – QUAND LA FOLIE TOURNE AU DRAME

C’est la seconde plus grande catastrophe du football dans sa grande Histoire. Celle de Hillsborough. Cette tragédie a pris place dans l’antre de Sheffield, le Hillsborough Stadium. En effet, la rencontre qui oppose Nottingham à Liverpool est une demi-finale de Coupe d’Angleterre, la FA Cup, une des compétitions immanquables dans une année outre-Manche. Depuis maintenant plusieurs saisons, les demi-finales de FA Cup ont lieu sur terrain neutre. Alors, Everton – Norwich a lieu à Birmingham, et Nottingham – Liverpool a lieu à Sheffield. Sur le terrain, Liverpool domine le football, que ce soit en Angleterre ou en Europe, et a remporté neuf Premier League sur les quatorze dernières saisons, et deux fois la Cup. Si Nottingham n’avait plus remporté le moindre trophée depuis dix ans, l’équipe fait partie des meilleures d’Angleterre : ils ont fini second du Championnat la saison passée, derrière les Reds, et avait été éliminé en demi-finale par… les Reds. Mais si cette demi-finale est importante sur tous les plans sportifs pour les deux équipes, aucune rivalité n’est présente hors du terrain. Les deux équipes se respectent, et les supporters se partagent les tribunes sans problème. Néanmoins, depuis le début des années soixante-dix, la question du hooliganisme revient sans cesse dans le football, surtout avec les précédents drames dans le football anglais. Des incidents s’étaient produits lors de la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions au Parc des Princes à Paris en 1975, lorsque Leeds affrontait le Bayern, et avaient déjà valu aux supporters britanniques de lourdes amendes. Dix ans après, en 1985, une autre finale de la Coupe aux Grandes Oreilles tournera à la catastrophe. Le Drame de Heysel prend place au Stade éponyme, à Bruxelles, lorsque des supporters des Reds ont chargé des supporters Italiens, dans une partie voisine de leur tribune, ce qui aura conduit à un mouvement de foule et 39 morts.

En 1989, en ce 15 avril, l’exclusion de Liverpool de toutes compétitions européennes reste en vigueur, malgré le fait que les supporters n’ont plus fait de bavure depuis Heysel. Mais la réalité du hooliganisme, et la peur de la destruction de biens et des troubles à l’ordre publique aura eu le monopole des cerveaux des policiers à Sheffield. En effet, à l’époque, la police avait pour objectif de séparer les supporters, et de les encadrer. Inauguré en 1899 et modifié en 1966 pour la Coupe du Monde en Angleterre, le Stade Hillborough, situé à trois kilomètres du centre de Sheffield, avait déjà accueilli trois demi-finales de FA Cup, en 1981, 1987 et 1988. A chaque fois, des incidents ont eu lieu dans l’antre du stade, mais n’ont jamais poussé l’organisation à revoir la sécurité du stade. Même un rapport de 1978 concluait que le stade ne remplissait pas les critères de sécurité dans les enceintes sportives. Avec les modifications dans les années 80, et la création des pens, tribunes, cette dangerosité était encore plus marquée. Néanmoins, le football britannique continue de prendre part au jeu dans ce stade. Avant le drame.

Sheffield avait l’habitude d’accueillir plus de 50 000 spectateurs dans son stade pour une demi-finale de Cup. Cette dernière était tout simplement la plus grosse mission de l’année pour la police de South Yorkshire, où se situe la ville. Celui qui dirigeait les opérations était David Duckenfield. Il ne connaissait pas l’influence d’un match de football, et le type de supporters qui s’en suivait. Il avait été nommé responsable du secteur de Hillsborough moins de trois semaines avant le match, et ne connaissait pas bien le quartier, connaissait mal le stade où il n’avait pas exercé depuis plus de dix ans. Il s’appuyait sur la note laissée par son prédécesseur lors des deux demies précédentes mais réduira tout de même les effectifs pour cette saison. Il voulait s’appuyer sur ses subordonnées pour être influencé durant les opérations. En vain.

Le coup d’envoi de la rencontre était prévu à 15 heures en ce dimanche d’avril. Jusqu’à 14 heures, les spectateurs arrivent au stade et s’installent sans difficulté. Mais à partir de 14h15, le nombre de spectateurs arrivant sur place augmente de plus en plus : logiquement pour deux raisons, car une majorité de spectateurs arrive moins d’une heure avant le coup d’envoi, mais aussi des contrôles de police et des embouteillages routiers ont pris place autour du Stade de Hillborough. A partir de 14h30, les Lepping Lanes, les voies d’attente avant d’entrer dans le stade, accueillent alors plus de 3000 spectateurs, voire même 5000. Ils s’agglutinaient afin d’atteindre les tourniquets. Mais ces tourniquets étaient trop vétustes et lents. Alors la foule était bien trop grande pour si peu d’espace, et l’air devenait de plus en plus rare. Aucune queue ne prend place, et la tension est palpable avec des bousculades qui éclatent parmi les spectateurs.

Ceux munis de billets pour Leppings Lane Terrace peuvent aller dans les tribunes de leur choix. Aucun partage et aucun contrôle n’avait lieu pour répartir d’une façon équilibrée les spectateurs parmi les tribunes. Alors les voici se regroupant dans les Pens 3 et 4 : les spectateurs y vont même directement en empruntant le tunnel. Les autres Pens étant mal indiqués, elles ne sont que très peu remplies. À un quart d’heure du coup d’envoi, soit à 14h45, les tribunes 3 et 4 étaient déjà bondées, avec sûrement plus du double de leur capacité théorique, et les barrières transversales, qui encadraient les spectateurs, ne permettent pas à ces derniers de se répartir dans l’ensemble de la terrasse. Entre 14h30 et 14h45, les tribunes deviennent donc incontrôlables. Sur ordre de ses équipiers, le Commandant Duckenfield ordonne l’ouverture de la Porte C à 14h52, pour éviter un carnage avec des milliers de victimes. Dès l’ouverture de la Porte C, plus de deux-mille spectateurs entrent rapidement, dont une majorité se dirige vers les tribunes centrales, que personne n’avait pensé à fermer, un comble. L’arrivée de cette foule nombreuse et compacte garantit la catastrophe dans ce stade déjà fragilisée par une organisation très floue des policiers.

Arrivés par l’arrière des pens déjà bondés, à partir d’un tunnel, les nouveaux spectateurs se précipitèrent dans un enfer. La pression devient très forte, et des spectateurs commencent à étouffer. Certains décident alors de franchir les barrières transversales pour se sauver, d’autres sont hissés dans le West Stand, situé au-dessus de la terrasse, et d’autres encore franchissent la barrière frontale pour se réfugier sur la pelouse. Dans le même temps, dans le Pen 3, une barrière d’appui, qui était censée fractionner les spectateurs en petits groupes, cède sous le poids des spectateurs, et précipite ces supporters sur ceux du dessous, qui furent écrasés. Néanmoins, l’arbitre sonne le début de la rencontre à quinze heures, comme si rien ne se passait, et sans soupçons. Mais six minutes après, ce même arbitre interrompra le match, envoie les équipes aux vestiaires, alors que le terrain sera bientôt envahi par des centaines de spectateurs qui tentent de retrouver leur souffle, qui souffrent d’asphyxie, ou de blessures, et par des victimes en détresse, voire déjà mortes.

Le drame s’est aussi joué en coulisses. Alors que les spectateurs entrèrent sur la pelouse pour échapper à la mort, les haut-placés de la police ont cru à une invasion du terrain, et donc un problème de hooliganisme. Aucun ordre pour porter secours aux victimes n’est donc émis. Certains policiers essayent même de repousser les spectateurs vers les pens qu’ils viennent de fuir, d’autres empêchent les ambulances d’intervenir, espérant alors retrouver le contrôle de la situation. Les responsables de secours prendront également du temps à comprendre ce qui se jouait devant eux, avec ce nombre de blessés et de morts : aucun responsable ne prendra le rôle de commandant des opérations, les ambulances et le matériel prendront du temps à arriver, et les hôpitaux de Sheffield seront alertés bien trop tardivement. Ce sont certains supporters de Liverpool et de Nottingham, et des policiers et secouristes présents sur place, qui seront les premiers à réaliser les gestes de premiers secours, avec du bouche-à-bouche à même le terrain, et le gymnase situé derrière la tribune Nord accueillera quelques dizaines de minutes plus tard les victimes, et se transformera en morgue où les familles allaient identifier leur proche.

Derrière, la police pointera le doigt directement sur les supporters. Dès 15h15, Duckenfield annonce aux médias que les supporters ont « forcé l’entrée du stade » pour arriver sur la terrasse. Si cette version sera modifiée dans les heures qui suivent, le fond restera le même, en invoquant la responsabilité des supporters, qui auraient même été ivres en pénétrant dans le stade. Pour pousser cela à l’extrême, les policiers auront même réalisé des prises de sangs sur les victimes, dont des enfants, pour démontrer leur taux d’alcoolémie. Ils iront même jusqu’à demander aux familles des victimes quelle quantité d’alcool avait bu leur proche avant d’arriver au stade. Ce rapport d’enquête sera montré à la Première Ministre britannique, Margaret Thatcher, qui fera une sortie controversée, déclarant que « c’est classique quand il y a Liverpool, c’est des opportunistes, ils sont à l’affût pour choper un billet, pour en voler un ».

S’en suivent alors de longues batailles judiciaires pour les familles des victimes. Pourtant, le pré-rapport du haut magistrat, Lord Taylor, avait écarté toutes responsabilités des supporters dans cette catastrophe. Mais, combattues par la SYP (police du Yorkshire), ces conclusions seront rabattues par le coroner de Sheffield, chargé de l’enquête en 1990, qui tirera sur les supporters. Il rendra comme verdict que ces quatre-vingts six morts étaient « accidentelles », et excluait ainsi toutes poursuites pénales. C’est en 2009 que l’enquête reprendra, lors du vingtième anniversaire du « Hillsborough Disaster ». Des marques de soutien sont alors apportées aux familles des victimes, qui réclament alors « Justice pour les 96 » au Secrétaire d’État de la Culture de l’époque, Andy Burnham. Il obtient alors auprès du Premier Ministre, Gordon Brown, la réouverture du dossier, encadrée par un comité indépendant de neuf membres, dont l’évêque de Liverpool.

Après deux ans d’enquête et 400 000 documents étudiés, un rapport est donné aux familles des quatre-vingts seize victimes : ce rapport accablera la police, qui avait donné la priorité à la lutte contre le hooliganisme et au contrôle de la foule et non à la sécurité des spectateurs, les services de secours furent trop laxistes et ont pris trop de temps à agir, et le rapport aura montré comment le SYP a entamé une campagne mensongère pour dénoncer les supporters et cacher leur faute. La deuxième enquête du coroner qui détermine les causes du décès des 96 victimes donnera lieu à la plus longue enquête de l’Histoire de la Justice Britannique : elle débute en Mars 2014 et se terminera en 2016 avec un verdict ô combien important pour les familles des victimes. La sentence tombe, le verdict d’homicide involontaire par imprudence/négligence est là, et ouvre la voie à un procès. En juin 2017, les poursuites sont ouvertes contre David Duckenfield, contre le responsable de la sécurité du stade, Graham Marckell, trois anciens officiers (dont un verra les poursuites abandonnées) et un ancien avocat de la SYP.

En avril 2019, les premiers procès ont lieu, ceux de Duckenfield et de Marckell. Si le second sera jugé responsable de l’entrée de 10 100 spectateurs par sept tourniquets seulement, et sera condamné à 6 500 livres d’amende, le premier se verra déclarer non-coupable, en appel après un premier acquittement, car le jury ne tombera pas d’accord sur un verdict majoritaire. Les autres procès devaient avoir lieu en avril 2020. Trente-et-un ans après la Catastrophe. Mais mieux vaut tard que jamais, pour que les victimes puissent enfin être en paix. A jamais, Hillsborough sera le lieu de naissance d’un drame sans nom. Une catastrophe inimaginable aujourd’hui, et qui s’est pourtant produite il y a trente-et-un-ans. Pour l’amour du football, 96 personnes sont décédées. Pour le sport et le monde entier, elles ne seront jamais oubliées.


Auteur : João (📸 : Getty)

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